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L’
élève vient à l’école pour apprendre. Pour
cela, il doit combler tous les vides qu’imman-
quablement les examens révéleront ! Les en-
seignants raisonnent en termes d’écart entre
ce que l’élève sait déjà faire et ce qu’il de-
vrait être capable de faire. Leurs méthodes
engagent l’élève dans une logique de cor-
rection. Le sportif n’y échappe pas et doit
s’entraîner sans cesse à réduire l’écart entre
le geste produit et le geste idéal afn de de-
venir toujours plus performant. Et fnalement,
le salarié est soumis au même régime : être
plus performant pour son entreprise en étant
toujours plus effcace.
N’y a-t’-il pas dans cette logique de réduc-
tion d’un écart à une norme, de tentative
de correction des erreurs ou les défauts, une
grave erreur dans la démarche ?
L’amélioration de la performance, qu’elle soit
scolaire, sportive ou professionnelle, passe
aussi par la confance en soi. Dès lors, com-
ment prendre confance en soi quand on ap-
puie systématiquement “ là où ça fait mal ” ?
Ne vaut-il pas mieux plutôt travailler sur
les points forts ? Ne vaut-il pas mieux partir
du “ déjà-là ” qui permet à la personne de
s’adapter aux tâches auxquelles elle doit se
confronter ? Cette situation serait sans doute
plus confortable. Pas de prise de risque ni
pour l’enseignant, l’entraîneur ou le manager
de mettre les personnes dont il a la charge
en situation d’échec.
En revanche, comment s’améliorer si on ne
prend pas en compte ce qu’il y a à améliorer ?
L’erreur est-elle un tabou qu’il convient de res-
pecter sous peine de mettre en danger l’es-
time de soi de l’individu ? Là aussi, bien sûr, le
risque existe. Entretenir la personne dans un
monde idéal où elle serait la meilleure sans
avoir à se remettre en cause, à s’améliorer,
à se former ? Et cela au nom d’une préser-
vation de l’estime de soi ou de la confance.
Cela ne risque-t-il pas de conduire à des im-
passes, surtout quand il va s’agir de travailler
en équipe, la “ faute ” étant toujours reportée
sur “ l’autre ” en raison d’une confance en
soi mal calibrée ?
Finalement, l’issue n’est-elle pas dans l’équi-
libre entre ce qui fait la force d’une personne
et ce qu’elle a à améliorer ? Ou plutôt, tout ne
reposerait-il pas sur une question de temps ?
Trouver les moments lors desquels il est
opportun de focaliser l’attention de la per-
sonne à la fois sur ses points forts et les points
à corriger, pendant l’année scolaire pour
l’élève, la période hivernale pour le sportif,
ou la phase de défnition des objectifs pour
le salarié. La période d’examen serait quant
à elle consacrée à la répétition de ce qui
est acquis, à l’accentuation de ce qui met
en confance. Si le “ quoi ” enseigner ou le
“ sur quoi ” s’entraîner ou se former, compte,
le “ à quel moment ” est déterminant ! Long-
temps avant, la carte de l’amélioration. Juste
avant l’échéance, celle de la confance
Par
Charles Martin-Krumm
Enseignant - Chercheur
Charles Martin-Krumm
a enseigné l’éducation Physique et Sportive pendant 18 ans. Il est maître de Conférences
depuis 2004. Il a publié dernièrement avec Cyril Tarquinio Traité de psychologie positive aux éditions de boeck.
Sa plus grande ferté, sans aucune hésitation, est de voir comment ses deux enfants, basculent petit à petit dans
le monde des adultes.
Performance,
Travailler
ses points faibles
ou renforcer
ses points forts ?
L’
élève ne vient pas seulement à l’école pour
apprendre et ce n’est pas seulement à
l’école qu’il apprend. Raisonner en termes
d’écart entre ce qu’il convient de savoir et
ce que l’élève sait, montre le caractère arbi-
traire du processus de jugement par lequel
toute évaluation des performances et des
compétences passe. La compétence ou la
performance peut être envisagée comme
l’expression d’un groupe ou d’une classe
sociale d’individus qui fxent les critères
d’acceptabilité de ce qu’est ou non une
personne compétente ou performante. Cela
suppose a minima l’existence d’un rapport
hiérarchique ou de contrôle social entre les
membres de ce groupe et les sujets évalués.
La compétence ou l’idée de performance est
de surcroît une norme reposant toujours sur
une attribution de valeur. La conséquence
de la norme sera de fonder et délimiter ce
qui est bon, utile, désirable, souhaitable de
ce qui ne l’est pas. Les objets en conformité
avec cette norme seront valorisés, promus et
renforcés positivement, par opposition aux
objets peu ou non conformes, qui seront
licenciés, “ mis au placard ”, en tous cas
renforcés négativement. Le fait que l’évalua-
tion des compétences puisse être emprunte
de jugements sur la valeur des personnes,
permet alors de l’envisager comme une
conduite sociale d’évaluation. C’est-à-dire
comme un ensemble structuré et fnalisé
de comportements adoptés par un agent
social à propos des conduites d’un autre
agent social et produisant un énoncé sur la
valeur des conduites de cet autre agent.
On peut défnir les valeurs comme un en-
semble d’idéaux qui servent de critères
d’évaluation des individus, des conduites
et des objets. Toute société identife des
catégories idéales auxquelles elle se réfère
ensuite pour constituer une sorte d’instance
évaluatrice des comportements. Les com-
pétences représentent bien dans la société
actuelle, une des modalités opératoires de
cette instance évaluatrice. Être compétent
ou performant, c’est être en conformité avec
ces catégories, a priori, qui fxent la valeur de
l’acte professionnel, et par effet de générali-
sation, la valeur du professionnel. Les gens ju-
gés comme compétents ou performants ne
sont pas intrinsèquement meilleurs que ceux
jugés comme moins compétents ou moins
performants. Il n’existe aucun critère de vé-
rité qui puisse opérer sérieusement la dis-
tinction. La personne compétente est jugée
comme telle parce qu’elle est détentrice de
valeur, aux yeux de celui qui évalue. Cette
valeur n’est en fait dûe qu’à l’utilité sociale,
c’est-à-dire à l’adéquation entre les attentes
de l’institution et le caractère opérationnel
des individus.
En somme, la compétence et la performance
n’existent pas en soi, elles se réfèrent toujours
à un critère utilitaire de valeur, la valeur de
l’individu autonome, chargé de l’exécution
d’un travail situé dans un système de pro-
duction fexible, et pas à un critère de vérité.
Une fois relativisée la question de la compé-
tence et de la performance, on peut alors se
demander quelle consistance peuvent avoir
la motivation, l’optimisme ou la confance ?
Par
Cyril Tarquinio
Professeur d’Université
Cyril Tarquinio
est Professeur des Universités à l’Unité de Recherche APEMAC EA 4360 équipe Psychologie de la
santé à l’Université Paul Verlaine de Metz (www.cyriltarquinio.com).
S’il devait lire 50 fois le même ouvrage, il choisirait
La Parure de Maupassant.
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