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ner à l’élève une vision négative du monde,
comme s’il avait tout a perdre et jamais rien à
gagner. Avec un collaborateur, j’ai développé
le “ baromètre de bien-être au travail
®
  ”.
L’idée est d’avoir des indicateurs, en entre-
prise, qui seront à la fois les forces sur les-
quelles il est possible de s’appuyer pour
qu’elle prospère, et des signaux d’alerte
pour révéler un niveau de bien-être un peu
défaillant ou signaler le mal-être d’une per-
sonne qui n’arrive pas à trouver du sens
dans sa vie. Or, on le sait, donner un sens à
sa vie et à ce qu’on entreprend, pour être
engagé et trouver du plaisir, est quelque
chose de déterminant. Si un salarié ou un
étudiant vient travailler sans savoir pourquoi
il vient, c’est qu’il y a quelque chose d’urgent
à travailler !
Est-ce que ce type d’approche est culturel ?
Vous observez des variantes selon les pays ?
Oui ! Je pense à une chercheuse anglaise
en psychologie positive qui vient de s’ins-
taller en France avec ses deux enfants. Elle
est tombée à la renverse lorsqu’elle les a ins-
crits dans le système scolaire français. Ça a
été le choc des cultures ! Pour autant, nous
sommes en France dans un pays du bien
vivre ; nous avons bon appétit, nous aimons
les bons vins, les bons repas, la douceur de
vivre. à côté de cela, nous sommes formida-
blement doués pour saper le moral de nos
jeunes avec une éducation souvent par le
négatif, c’est dommage.
quoi ressemble un programme
scolaire positif ?
Cela commence par la capacité à se décen-
trer des résultats en tant que tels. En France,
on a tendance à lutter. L’objectif est que
les élèves aient de bonnes notes, envers et
contre tout. Cela serait peut-être intéressant
de se décentrer de ce modèle et d’envisager
les bonnes notes comme étant des consé-
quences d’un processus préalable. Il faudrait
enseigner aux élèves des stratégies d’analyse
de leurs notes, bonnes et mauvaises, pour
s’améliorer. On devrait leur donner confance
en eux pour qu’ils osent se risquer ensuite à
faire ce qui leur a été demandé. L’idée est de
développer une approche amont, avant d’en
arriver à ce que le suicide soit l’une des pre-
mière cause de mortalité des adolescents ou
à ce que nous soyons les plus gros consom-
mateurs d’anxiolytiques d’Europe. Plutôt que
de lutter contre la dépression, on devrait dé-
velopper le bien-être pour ne pas en arriver
là. Martin Seligman qui a écrit un chapitre
pour l’ouvrage de psychologie positive que
j’ai co-dirigé avec Cyril Tarquinio, travaille ac-
tuellement avec l’Armée américaine sur un
programme de résilience pour lutter contre le
stress post-traumatique des soldats de retour
d’Afghanistan, d’Irak ou de la guerre du Golf.
Ces hommes n’ont pas nécessairement pris
de balles mais leur santé se détériore pour-
tant au fl du temps. Les États-Unis cherchent à
mettre en place un programme pour prévenir
ces risques. La logique devrait être la même
dans nos systèmes éducatifs. On devrait
permettre aux élèves de bénéfcier d’un pro-
gramme d’éducation positive qui consiste-
rait à leur apprendre un certain nombre de
choses qui auront un impact sur leur bien-
être et en retour, sur leurs performances sco-
laires et leur santé.
Cela signife former les enseignants
à une nouvelle forme de pédagogie ?
De mon point de vue, il s’agit d’armer un peu
mieux les enseignants mais aussi de revoir
certains modes d’enseignement. Je pense à
une méthode qui consiste à ce que l’élève
perde un point dès qu’il oublie de tracer un
trait. Avec certains enseignants, la notation
est basée sur un système de “ moins ” ; à
aucun moment, l’élève n’a la possibilité de
gagner des points. Je trouve que c’est don-
à
L’optimisme
n’a pas toutes
les vertus
du monde ;
il peut être
associé à
des conduites
à risques
des élèves. Quand j’entraîne les étudiants,
il m’arrive encore de me faire prendre la main
dans le sac à dire “ Ne fais pas ça. ” En tant
qu’enseignant, je pense que je suis passé par
tous les excès !
Le risque de la psychologie positive
n’est-il pas de survaloriser ?
Bien sûr, il y a toujours un revers de la médaille.
Mais il n’y a pas de solution miracle. J’ai ren-
contré des centaines d’élèves, dans 95 % des
cas, lorsqu’il y a eu confit, j’étais le seul res-
ponsable. Je m’y étais mal pris, j’avais théâ-
tralisé mes propos, par exemple en donnant
un feedback négatif à un élève devant le
reste de ses camarades… On est à l’école
pour faire en sorte que les élèves apprennent
le bien vivre ensemble. La fnalité de l’éduca-
tion, c’est aussi la citoyenneté. Je rêve d’un
monde scolaire où les chefs d’établissements
seraient au service des enseignants, en leur
donnant des moyens, et où les enseignants
serait au service des élèves. En étant forma-
teur d’enseignants, à ma modeste échelle,
je sens que des choses se mettent en place.
Cela prendra du temps mais je suis optimiste.
Je suis réaliste et optimiste.
Vos recherches sur la psychologie
positive vous ont-elles changé ?
Je pense, je rêve, je réféchis, je mange “ psy-
chologie positive ” ! Bien sûr,cela a changéma
manière de voir les choses. Quand j’ai com-
mencé ma thèse, c’était un travail d’introspec-
tion. Si on n’a pas un compte à régler avec le
sujet sur lequel on travaille, ça n’est la peine !
J’avais pour ma part un cadre d’analyse sur
la dépression ; ça n’était pas forcément très
positif au départ. Et puis, ça s’est construit petit
à petit et ça a fni par me transformer. Cela ne
veut pas dire je vais toujours bien et que je
m’entends toujours avec tout le monde ! Il y a
forcément des hauts et des bas
La notion d’échec naît avec l’école. L’erreur,
la mauvaise note est une vraie condamna-
tion, c’est le couperet qui tombe. Pour moi, si
l’élève ne commettait pas d’erreur, il n’aurait
pas sa place à l’école. Quand vous allez
chez le médecin, c’est parce que vous êtes
malade. Ça, vous le savez déjà. Ce qui vous
intéresse, c’est son diagnostic et ce qu’il va
mettre en œuvre pour faire en sorte que
vous alliez mieux. Si l’élève est à l’école, c’est
pour apprendre, ne l’oublions pas ! Et c’est
à la charge de l’enseignant de trouver pour-
quoi un élève ne réussit pas et de mettre en
œuvre les solutions adéquates. En France, on
a parfois tendance à s’arrêter aux constats.
ela demande presque des approches
individuelles ?
Non, pas nécessairement. La “ pédagogie dif-
férenciée ” est un grand mot qui fait peur aux
enseignants qui se voient déjà devoir appli-
quer une méthode différente pour chaque
élève. Il s’agit en réalité de permettre aux
élèves d’atteindre le même objectif en pre-
nant des chemins différents en fonction de
ses capacités. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a
ce qui relève de la technique pure - un élève
ne sait pas faire une multiplication - et ce qui
relève du psychologique - un élève manque
de confance en lui. Dans le second cas, l’ap-
prentissage demande du temps. Kim Came-
ron, qui a beaucoup travaillé sur le leadership
positif en entreprise, a démontré que plutôt
que de donner une consigne négative – dire
ce qu’il ne faut pas faire - on gagne du temps
à dire ce qu’il faut faire. Si on prend l’exemple
de l’aviron, celui qui rame est focalisé sur
ses qualités techniques, la gestion de son
effort, l’équilibre avec les autres… Si son bar-
reur lui dit “ Attention, ne fais pas ça ! ”, alors
son cerveau doit se centrer ce qu’il ne faut
pas faire puis transformer l’information et en
déduire ce qu’il faut faire. La perte de temps
est incroyable ! C’est la même chose avec
Je trouve que c’est donner à l’élève une vision
négative du monde, comme s’il avait tout
à perdre et jamais rien à gagner
La notation est souvent basée sur un système
de “ moins ”; à aucun moment, l’élève n’a
la possibilité de gagner des points
C
Palmarès sportif :
Médaillé aux championnats
de France d’aviron,
fnaliste aux Championnats
du Monde Juniors
et à la Coupe d’Europe,
pré-sélectionné olympique
en 1983, vice champion
de France Universitaire de
SAVATE Boxe Française.
Thèmes de recherches :
L’optimisme, ses relations
avec toutes les formes
de performances
et son implication
dans les processus
psychologiques.
L’étude des interactions
avec le burn out,
le bien-être, l’espoir,...
dans les contextes du sport,
de l’école et de l’entreprise.
25
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interview
Charles martin-krumM