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Il existe une dimension biochimique qui fait
que l’on peut être plus ou moins positif ou négatif
Ambroise Desormeaux
est psychiatre, chef de service au Cesame, Centre de Santé Mentale Angevin.
à son dîner idéal, il inviterait l’Amour et la Raison,Vénus et Descartes et bien d’autres qui illustrent l’affect et le rationnel.
un patient suivi pour des troubles bipolaires
et en phase dépressive m’a dit : “ Ce qu’il
y a de bien, chez vous, c’est que vous êtes
souriant. ” J’étais effectivement souriant, sor-
tant de la neutralité bienveillante conseillée
au thérapeute, car mon patient allait mieux.
Peut-être, la notion de neurones miroirs peut
apporter un éclairage à cette situation.
En 1994, à Parme, des neurobiologistes étu-
dient in vivo le cortex d’un singe macaque.
L’heure du déjeuner arrive et l’on apporte
des sandwichs. Les chercheurs mangent
leurs sandwichs et s’aperçoivent que les
neurones du cortex du singe qui corres-
pondent à l’action de manger s’activent
sans que le singe n’effectue aucune action
motrice d’imitation.
On a décrit cela sous le nom de neurones
miroirs. Ceci semble indiquer une forme
d’appropriation interne de l’action d’autrui.
Depuis, en 2010, il a été démontré chez
l’homme, conformément à la proximité phy-
logénétique des espèces, que les neurones
miroirs décrits chez le macaque existent
chez l’être humain. De même, Jean Decoty
a montré, chez l’être humain, que les mêmes
zones cérébrales s’activent pour exécuter
réellement une action et pour l’imaginer
mentalement. La compréhension du com-
portement de l’autre induit-elle la même
marque cérébrale en nous, et avec quel
impact ? Certains ont appelé les neurones
miroirs les neurones de l’empathie.
l existe une dimension biochimique, régulée
par certains neuromédiateurs qui fait que
l’on peut être plus ou moins positif ou négatif.
Les traitements médicamenteux agissent
sur cet aspect et sont effcaces dans 70 %
des cas. Mais cela n’exclut pas la dimen-
sion psychothérapique ; les deux approches
étant complémentaires voire synergiques.
La dépression et les troubles thymiques
dépendent du cerveau affectif et non du
cerveau rationnel. L’excès de travail peut
favoriser l’épuisement et ainsi réduire les dé-
fenses vis-à-vis de prédisposition dépressive
voire mener à l’effondrement des systèmes
d’adaptation. Dans le domaine de la santé
au travail, il semble donc indispensable de
prendre en considération la fragilité affective.
La dépression a un coût important pour la
société et pour l’individu.
Accueillir la souffrance et laisser le positif
revenir de lui-même
En matière de prise en charge des personnes
dépressives, une attitude positive est-elle
de nature à aider le patient ? L’expérience
montre souvent l’entourage des dépressifs
leur dire : “ Sort, va au cinéma, va voir des
amis…”Autant de stimulations inutiles, sinon
nuisibles, mettant le déprimé en situation
d’échec et renforçant ainsi sa culpabilité de
ne pouvoir ressentir ou agir. L’amélioration
de la symptomatologie dépressive est né-
cessaire pour que la personne déprimée se
mobilise. Ainsi, pour prendre une métaphore
religieuse, on ne peut promettre le ciel à une
personne déprimée qui pense au plus pro-
fond d’elle-même qu’elle ne mérite que l’en-
fer. Même celui qui a connu plusieurs états
dépressifs et qui, à chaque fois a pu en sortir
ne croit pas, dans ce qu’il vit au moment où
il est déprimé, qu’il pourra à nouveau s’en
sortir. Seule une amélioration progressive de
sa symptomatologie lui permettra de recon-
sidérer sa position et de goûter à nouveau le
plaisir de vivre.
La prise en charge et le suivi d’une personne
dépressive est un accompagnement pro-
gressif qui tient compte de son humeur en
la respectant pour lui permettre de recouvrer
des affects positifs, de retrouver le ressenti et
de reprendre l’activité qui nous prouve l’uti-
lité d’être là parmi les autres et d’agir.
L’attitude positive
congruente du psychiatre
La dépression modife la conscience et la
focalise souvent sur des thématiques obsé-
dantes, en réduisant le champ de l’attention.
Elle s’accompagne d’une douleur morale
dont l’intensité peut mettre la personne en
danger. Le thérapeute est, à ce moment, prêt
à accueillir cette souffrance et toute attitude
optimiste à ce stade serait perçue par le pa-
tient comme une incongruité et une néga-
tion de ce qu’il est venu nous livrer, une fn
de non recevoir. Dire sa douleur est le début
d’un partage et d’un contact qui s’établit.
La mise en place d’un traitement médica-
menteux est essentiel et le plus tôt possible.
Mais l’instaurer dès le premier entretien peut
être une erreur psychologique car en mé-
decine occidentale une prescription médi-
camenteuse clos l’entretien et est sensée
apporter la solution. Le patient peut estimer
alors qu’il n’a pas été écouté. Il est souhai-
table d’obtenir l’adhésion de son patient et
pour cela il faut souvent le convaincre de
l’intérêt du médicament pour atténuer sa
souffrance et assurer un complément à la
prise en charge psychothérapique.
Le positif, c’est le patient lui-même qui va
le retrouver en lui au fl de son amélioration
thymique. Le thérapeute n’est là que pour
l’aider dans sa recherche et l’accompagner.
Cela se fait progressivement pour certains,
plus rapidement pour d’autres, parfois bru-
talement dans les inversions d’humeur chez
les patients bipolaires. Dans d’autres situa-
tions, rarement ou jamais… Il y a une grande
diversité chez les personnes ayant connu
des états dépressifs. Elle correspond à la
thymie de base qui les caractérise hors épi-
sode pathologique mais aussi aux éléments
de vie qui contribuent à leur histoire person-
nelle. Il parait souhaitable que le psychiatre,
dans la prise en charge d’un état dépressif,
soit animé d’une attitude positive.Mais celle-
ci sera exprimée de façon progressivement
croissante, accompagnant l’amélioration
thymique du patient afn que celui-ci puisse
la percevoir comme congruente
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un jour…
Par
Ambroise Desormeaux
Psychiatre, Chef de service du Centre de Santé Mentale Angevin