La gratuité - Caminno Slow Janvier 2015 - page 24-25

Le 7 janvier dernier, des terroristes islamistes
abattaient plusieurs membres du journal
Charlie Hebdo, ainsi que des policiers et
membres de la société civile, en représailles
à des caricatures publiées par le journal sati-
rique. À la suite de cette tragédie, près de
quatre millions de Français se sont rassemblés
pour manifester leur indignation. Des slogans
sont apparus et tout particulièrement le fameux
« Je suis Charlie ». Au-delà de nos frontières,
de nombreux pays du monde se sont associés à
la peine et à la colère françaises. Pour autant,
malgré des chiffres records illustrant l’onde
de résonance de cet événement, de nombreux
autres Français ne sont pas descendus dans
la rue ou ne se sont pas reconnus dans ce
« Je suis Charlie ». Certains en disant claire-
ment qu’ils n’étaient pas Charlie, d’autres en
disant qu’ils étaient flics, musulmans, chré-
tiens, juifs, tolérants, libres. D’autres encore
en se taisant.
Nous sommes aussi convaincus que la vérité
rayonne d’autant plus que nous nous savons
nous montrer détachés de ce qui nous tient
à cœur. Où commence et où finit Charlie ?
Qu’est-ce qu’être Charlie ? Parce qu’au-delà
du message unificateur, chacun voit Charlie
à sa porte.
Pierre d’Elbée
Je suis profondément indigné par tous les
assassinats qui ont été commis au nom d’un
islam extrémiste. Pour autant, je ne veux
pas me faire appeler Charlie, parce que je
ne peux pas oublier les dessins de
Charlie
Hebdo
. Certains sont drôles, peut-être, mais
d’autres sont insultants et ressemblent à des
déclarations de guerre.
Aurélie Jeannin
Charlie Hebdo
n’est pas un journal de propa-
gande, c’est un journal d’information. Quelle
que soit sa forme, satirique en l’occurrence
dans le cas de
Charlie Hebdo
, quel que soit
son ton, son orientation politique, l’infor-
mation doit circuler pour que chacun, avec
ce qu’il est, puisse la faire sienne et mieux
comprendre le monde dans lequel il vit. Les
dessins de
Charlie Hebdo
ne sont jamais
gratuits. Ils sont osés, insolents, provocateurs
mais ils écorchent des faits existants. Derrière
chacun d’eux, il y a toujours un fond de
réalité. Les caricatures de
Charlie Hebdo
sont
un prisme, un angle d’attaque particulier. De
Slow
n’a jamais eu vocation à commenter l’actualité, préférant, comme
le justifie son nom, porter un regard
a posteriori
sur quelques grands
sujets qui traversent nos sociétés, loin du tumulte chaud et vif des chaînes
d’information en continu. Comment cependant, lorsque l’on aborde la
question de la gratuité, faire l’impasse sur ce sujet ? Comment ne pas
évoquer cette actualité, survenue au moment où nous bouclions la revue ?
La liberté d’expression autorise-t-elle tout ? Peut-on rire de tout ? L’hu-
mour est-il gratuit ? Sans volonté de convaincre, d’avoir raison contre,
nous avons cherché à nous exprimer au plus juste, à nous faire le reflet de
cette France unie, mais aussi divisée sur le sujet.
To be or not to be
charlie?
même que les portraits caricaturaux mettent
en exergue votre nez trop long, vos yeux
trop rapprochés, vos dents trop grandes, les
caricatures de
Charlie Hebdo
sur l’actualité
mettent en exergue un détail d’un fait initial.
Pierre d’Elbée
Charlie Hebdo
se définit d’abord un journal
satirique – et non d’information ! – comme
l’indique l’affirmation de Cabu selon laquelle
un dessin est un fusil à un coup. Il suit une
ligne polémiste, libertaire et antireligieuse, et
ses dessins ont déjà fait l’objet d’une cinquan-
taine de procès, certains gagnés, d’autres
perdus. Il n’a d’ailleurs jamais prétendu être
un modèle à suivre.
Aurélie Jeannin
Je crois que le débat n’est pas tant de tran-
cher sur la responsabilité ou pas de
Charlie
Hebdo
. S’affirmant « Journal irrespon-
sable », je crois cependant que tous ses
membres savaient ce qu’ils faisaient, de façon
responsable. Qu’on ne dise pas cependant
qu’ils méritent ce qui leur est arrivé, comme
cela a pu être lu sur les réseaux sociaux ! Les
trois mots de « Je suis Charlie » ne sont pas
à prendre tels quels. Ils font écho à l’actua-
lité qui précisément, a touché
Charlie Hebdo
,
mais nous devons y voir bien plus. Dire « Je
suis Charlie », fondamentalement, c’est dire
« Je suis libre de m’exprimer ». C’est dire
« en tuant ces dessinateurs et les personnes
qui les entouraient, vous avez tué des repré-
sentants de notre liberté d’expression. »
Charlie Hebdo
n’imposait pas un point de
vue,
Charlie Hebdo
proposait une façon de
traiter l’information.
François de Montfort
« Je ne suis pas Charlie, je suis solidaire de Charlie. Le « je suis Charlie »
a un côté fusionnel qui m’embête et si
Charlie Hebdo
m’a souvent fait rire
dans ma jeunesse, je n’ai pas toujours partagé les dessins qui touchaient
parfois à des choses sacrées. C’est l’éternelle question : peut-on rire de
tout ? Je ne suis pas Charlie surtout car le même jour des centaines de
victimes innocentes étaient tuées par Boko Haram au Nord du Nigéria
et que cela faisait un court passage au fond des journaux et que ces vies
valent autant que les autres vies. Je suis Charlie si cela permet de prendre
conscience du manque d’avenir et du désespoir que nous fournissons
parfois aux jeunes, si cela permet à l’Islam modéré de réfléchir à sa place
dans la société, et de prendre conscience que lorsque nous entendons de
manière distraite à la radio qu’il y a eu des dizaines de morts à cause de
l’État Islamique à l’autre bout du monde, cela nous concerne aussi. Je
suis Charlie lorsque je vois que malgré l’individualisme ambiant, nous
sommes capables de nous rassembler pour une cause. »
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